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VOLATILITÉ : L'EUROPE DU NORD S'ADAPTE

PHOTO : CLAUDIUS THIRIET

Le yoyo des prix s'installe dans les esprits et chacun se prépare à la fin des quotas. La France ne peut plus ignorer ce qui se passe chez ses voisins.

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A MOINS DE DEUX ANS DE LA FIN DES QUOTAS et alors que la volatilité des prix s'est imposée depuis 2006, le paysage laitier européen reste caractérisé par des différences nationales fortes. Elles résultent de l'histoire des différents pays et des adaptations qu'ils ont imaginées pour réagir à la volatilité. L'analyse de ces différences permet de distinguer les forces et faiblesses de chacun pour entrer dans un monde sans quotas, où la demande mondiale pour les produits laitiers devrait rester soutenue. Les pays d'Europe du Nord et de l'Ouest, dont fait partie la France, ont en commun une activité fortement tournée vers l'export. Ils se livrent à une concurrence redoutable sur le marché mature de l'Union européenne. Leur développement futur dépendra à la fois de leur capacité à se maintenir sur ce marché, tout en captant les opportunités qui s'ouvrent dans les pays émergents.

La France doit se positionner dans ce contexte, mesurer ses propres atouts et points faibles, et dégager les marges de progrès qui lui permettront de maintenir son rang, voire de progresser. Car avec des exportations qui pèsent l'équivalent de 40 % de sa collecte quand les importations en représentent 20 %, elle ne peut pas tourner le dos à l'export.

L'Institut de l'élevage vient d'achever une étude sur ce thème(1). Un travail riche d'enseignement pour qu'éleveurs et industriels français connaissent les forces et faiblesses de leurs concurrents.

ALLEMAGNE DYNAMISME À TOUTE ÉPREUVE

Le pays a plutôt bien résisté à la crise de 2009. La chute du prix du lait a incité les éleveurs à maintenir, voire à augmenter leur production afin de diluer les charges fixes. Entre les prix élevés de 2008 et la reprise de 2010, la dégringolade de 2009 (un plancher à 200 €/1 000 l) est à peine visible dans les exercices comptables. Mais elle a marqué les éleveurs.

Déjà très orientés vers l'export, les industriels ont accentué leur agressivité pour trouver des débouchés à ce lait. Ils disposent aujourd'hui d'outils industriels adaptés à ces marchés qu'ils connaissent. Au final, la filière sort renforcée de la crise, avec une volonté ferme de croissance. Depuis 2005, le pays produit les hausses de quotas. Avec une collecte réalisée à 70 % par des coopératives, la filière est pilotée par l'offre. Autrement dit, les éleveurs produisent, à charge pour les entreprises de vendre. Parmi les évolutions majeures qu'a connues le secteur laitier allemand, il faut également citer la diversification énergétique. Rares sont les bâtiments agricoles qui ne portent pas de panneaux solaires. Et 60 % des 7 500 digesteurs se trouvent sur des élevages laitiers. Ces développements sont financés par les consommateurs, et non par les pouvoirs publics. Le revenu supplémentaire n'est pas négligeable pour les éleveurs qui renforcent ainsi leur solidité financière et leur capacité d'investissement. Ils sont donc moins vulnérables à une chute du prix du lait, par exemple.

Cependant, cette filière n'est pas exempte de faiblesse. Le manque de main-d'oeuvre salariée est un frein au développement des élevages familiaux du nord. Dans l'est, c'est l'exode rural qui limite le personnel disponible pour répondre aux besoins des grosses structures. Quant au sud, il peine également à renouveler ses éleveurs car les emplois non agricoles attirent davantage.

Le développement des énergies renouvelables concurrence aussi la production laitière dans l'utilisation des surfaces. Certains élevages abandonnent les vaches pour se tourner vers le biogaz. De même, l'attrait des céréales pèse sur l'avenir du lait dans l'est.

Par ailleurs, les aides directes octroyées aux éleveurs vont se réduire avec la régionalisation des DPU. Les revenus vont donc diminuer. Et le marché intérieur des produits laitiers, dominé par le hard discount, est peu rémunérateur. Cette demande pourrait se réduire au rythme du vieillissement de la population et de la baisse du nombre d'habitants.

PAYS-BAS LA MEILLEURE RENTABILITÉ

Les études se suivent et se ressemblent : depuis 2000, toutes mettent en évidence la supériorité du modèle de production néerlandais en matière de rentabilité, même si cela est moins net depuis 2010. C'est le résultat d'une spécialisation poussée qui implique de déléguer l'essentiel des travaux des cultures. De plus, la forte densité de l'élevage donne aux éleveurs l'accès à des services et à des intrants moins coûteux qu'ailleurs. Ceci permet aux exploitations, de type généralement familial, d'atteindre un haut niveau de productivité du travail. Les éleveurs néerlandais autofinancent leurs investissements à hauteur de 50 %. 80 % du lait sont collectés par la coopérative Friesland Campina, une entreprise en très bonne santé financière, qui a su tirer profit des hausses de volumes accordées depuis quelques années. La coopérative travaille avec les organismes de recherche et développement et les pouvoirs publics pour améliorer la durabilité des exploitations. Une démarche qui entretient la dynamique laitière. Les experts annoncent une hausse du volume produit de 20 % d'ici à 2020, ce qui ramènerait la collecte à son niveau de 1983. Les exportations vers l'Asie, en hausse constante, devraient absorber ces volumes.

Friesland Campina et d'autres laiteries donnent des incitations financières aux éleveurs qui préservent le pâturage. Car avec l'agrandissement des troupeaux, cette pratique indissociable de la bonne image du lait auprès des citoyens, tend à reculer. Cet objectif de croissance de la production s'explique en partie par une grande confiance dans l'avenir, entretenue par un prix du lait souvent parmi les plus élevés d'Europe. S'y rajoute la crainte d'une réglementation limitant à terme la taille des élevages. Cependant, cette hyperspécialisation a aussi son revers. En cas de forte chute du prix du lait, les éleveurs n'ont aucune bouée de secours. L'effondrement de 2009 a été vécu ici comme un accident de parcours et n'a entraîné aucune remise en cause du système. Les éleveurs se sont contentés de repousser leurs investissements ou de négocier des reports d'échéance. Lorsque les prix sont remontés en 2011, beaucoup ont constitué des réserves financières au détriment des investissements, preuve qu'ils ont bien intégré les risques liés à la volatilité. Le talon d'Achille des Pays-Bas se trouve au niveau de l'environnement. Le pays a su négocier des dérogations à la directive nitrates mais il frise la limite. Les excédents d'azote (150 kg/ha) sont deux fois plus élevés que dans l'ouest de la France. Au 1er janvier 2013, se met en place un système de quotas de lisier qui a vocation à remplacer les quotas laitiers.

DANEMARK UN PARI RISQUÉ

Parce qu'il représente 17 % des exportations, le secteur agricole a une valeur stratégique au Danemark, en particulier les productions animales qui assurent l'essentiel de ces exportations. Le pays a profondément transformé son modèle de production laitière il y a quinze ans, passant d'exploitations moyennes de 40 vaches à des structures en comptant de 100 à 300. Cette restructuration à marche forcée a entraîné la disparition de 7 % des exploitations par an durant dix ans. La transformation s'est également restructurée pour aboutir au quasi-monopole d'Arla Foods, tandis que les organismes de service fusionnaient.

Ce pari sur l'avenir a nécessité d'énormes investissements, financés par des organismes de crédits hypothécaires, des banques ou des fonds de pension. Les prêts ont été accordés en fonction de la valeur des actifs, et non de la capacité de remboursement. Un système qui a facilité l'accès au crédit, mais qui a conduit à la création d'une bulle foncière et financière qui a éclaté en 2008. Très endettés (2 M€ par exploitation en 2008), les éleveurs ont fait face à des frais financiers colossaux (153 €/1 000 l). L'apurement des comptes est loin d'être achevé.

Le taux de restructuration reste élevé (7 % par an entre 2007 et 2010), notamment du fait que près d'une exploitation sur dix est insolvable : depuis l'éclatement de la bulle immobilière et la chute des prix du foncier, leur passif excède l'actif. Pour un tiers des exploitations, la rentabilité future est pénalisée par la situation financière. Mais elles sont aussi nombreuses à bénéficier de très bonnes perspectives. Depuis la crise, les investissements ont été divisés par dix.

Le système danois ne fonctionne qu'avec des prix du lait élevés et des taux d'intérêts bas. Les TB forts, le poids de l'agriculture biologique (10 %) et le soutien d'Arla Foods jouent en faveur du premier point et le lait danois est souvent parmi les mieux payés de l'UE. Quant aux taux d'intérêts, ils tendent à progresser, même si les banques semblent viser une stabilisation de l'endettement. Aux compétences techniques souvent élevées des éleveurs, s'ajoute désormais l'exigence de qualités de gestionnaire pour rester dans le métier. Mais les perspectives de hausse de la collecte après 2015 restent limitées par les contraintes environnementales. Il faudrait que la production porcine recule, ce qui ne semble pas envisagé, pour que le lait se développe. Sinon, seule la hausse de la productivité individuelle, qui stagne à 9 000 kg depuis cinq ans, peut permettre une légère hausse des livraisons. La filière craint aussi un durcissement de la réglementation nationale sur les énergies renouvelables. Elle pourrait remettre en cause l'autorisation d'exploiter des gros élevages. Et l'obligation de développer le biogaz pourrait créer une nouvelle concurrence pour l'élevage laitier. Enfin, l'européanisation de la coopégros rative Arla risque de réduire le poids des éleveurs danois dans sa gestion.

IRLANDE DU POTENTIEL « LOW COST »

Avec son lait à l'herbe, l'Irlande consomme peu d'intrants et nécessite peu d'investissements. Mais la valorisation sous forme de produits industriels exportés génère un chiffre d'affaires assez faible. Et le système induit une production très saisonnière et donc une surcapacité de transformation. Mais au final, les éleveurs s'en sortent plutôt bien avec des résultats économiques supérieurs à la moyenne européenne, aussi bien à la tonne de lait que par actif.

Un tiers des éleveurs a moins de 45 ans et parmi les jeunes, beaucoup ont fait des stages à l'étranger, surtout en Nouvelle-Zélande. Le pays investit dans la recherche et le développement afin de former les futurs agriculteurs, mais aussi d'anticiper les enjeux à venir, toujours dans une optique de maîtrise des coûts. De nombreux élevages disposent d'une marge de progrès conséquente en termes d'intensification fourragère ou animale. Les deux tiers possèdent des vaches allaitantes et peuvent se spécialiser pour augmenter le lait. Les éleveurs allaitants comme les exploitants en grandes cultures peuvent avoir accès à des quotas.

Mais le projet d'augmenter les livraisons de 50 % après 2015 va se heurter à d'autres obstacles. Le foncier est cher et morcelé et dans un pays attaché à la terre, le marché ne concerne qu'une faible surface. La production reste soumise aux aléas climatiques. La transformation n'est pas concentrée et les éleveurs coopérateurs y ont perdu du pouvoir.

Ébranlée par la crise immobilière et financière de 2008, l'Irlande a changé son regard sur le secteur laitier, désormais considéré comme un pôle central de l'économie. C'est un secteur attractif et prometteur. Mais cette crise a durement affecté les banques et l'accès au crédit est difficile pour les investissements industriels. À l'inverse, les éleveurs sont courtisés, la propriété du foncier les rendant solvables. Le financement est donc assuré pour développer la production. Mais les choses sont moins simples pour la transformation, sauf si les éleveurs s'y impliquent (voir aussi le dossier p. 33).

ROYAUME-UNI LONGUE TRAVERSÉE DU DÉSERT

Depuis la fin des années quatre-vingt et jusqu'en 2010, la filière laitière britannique a souffert d'un prix du lait extrêmement bas couplé à des coûts de production au niveau de la France ou de l'Allemagne. Les éleveurs n'ont tenu qu'en renonçant à investir, d'où une stagnation de la productivité. Faute d'attractivité, le secteur de la production ne s'est pas renouvelé et a connu un lent déclin. La tendance a commencé à se retourner en 2011 avec une forte reprise du prix du lait (+ 50 %). Mais la concurrence avec les céréales pourrait entraîner un nouveau recul du lait. En raison de leur grande taille et d'un système fondé sur le pâturage, les élevages britanniques dégagent de bons revenus. Néanmoins, la place de l'herbe tend à reculer sur les très grosses structures. Les éleveurs raisonnent en chef d'entreprise et privilégient les investissements dictés par leur volonté de croissance ou les réglementations environnementales. Beaucoup délèguent les travaux des cultures et réduisent les frais de mécanisation. Avec une main-d'oeuvre salariée disponible et peu coûteuse, ils investissent peu dans les conditions de travail. Mais le vieillissement des chefs d'exploitation (les deux tiers ont plus de cinquante ans) représente une autre menace pour la filière. Dans ce pays à la culture libérale, l'État ne s'implique pas dans les secteurs tels la recherche, le développement ou l'enseignement agricole. Sous la pression de la population, il ne s'intéresse qu'à l'environnement. Mais la crise économique a remis en avant l'intérêt de l'agriculture en tant qu'activité économique.

Le pays consomme essentiellement du lait frais pasteurisé produit localement. Il s'agit d'un marché captif dirigé par la grande distribution via des contrats spécifiques pour les éleveurs. Mais le Royaume-Uni dépend des importations pour sa consommation de fromage. Les experts considèrent la transformation comme le maillon faible de la filière d'outre-Manche. Peu innovante, elle se montre assez timorée à l'export. Elle n'a pas su saisir les occasions du marché de l'ultrafrais, aujourd'hui approvisionné par des importations.

Les choses sont en train de bouger sous l'impulsion de deux étrangers, le Scandinave Arla Foods et l'Allemand Müller. Tous deux ont récemment investi le Royaume Uni, se plaçant respectivement sur la première et la troisième place du podium local. Ces événements sont considérés par certains comme porteurs de dynamisme.

Il n'empêche que les maux affectant la filière laitière britannique sont nombreux : risques liés au taux de change, pression foncière croissante, persistance de la tuberculose…

PASCALE LE CANN

(1) Les modèles laitiers du nord de l'Union européenne à l'épreuve de la volatilité, dossier du n° 428, octobre 2012. www.idele.fr rubrique Domaines techniques, puis Économie des filières analyse des filières.

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